Une banque qui fait sécession ce n’est pas banal. En Bretagne, aujourd’hui, c’est dans un climat passionnel que se déroule cette étonnante démarche initiée par le Crédit Mutuel Arkéa de quitter le giron de la Confédération nationale.
Pour le client ou sociétaire, difficile de comprendre les raisons de cette fronde. Le Crédit Mutuel est une banque mutualiste qui bénéficie plutôt d’une bonne image et enregistre de très bons résultats financiers. Sa filiale Arkéa (qui gère les activités bancaires du Crédit Mutuel en Bretagne mais aussi dans le Sud-Ouest et dans le massif Central) se porte elle aussi particulièrement bien et s’est beaucoup développée au cours de ces dernières années.
Paradoxalement c’est tout au long de cette période que les relations entre les dirigeants d’Arkéa et la Confédération nationale du Crédit Mutuel se sont dégradées. Aujourd’hui, Jean-Pierre Denis, président d’Arkéa, accuse sa maison mère de vouloir centraliser l’organisation et mettre ainsi fin à l’autonomie de gestion dont bénéficie Arkéa. Sans apporter la moindre preuve, mais en jouant sur la fibre régionaliste, il tente de se faire le chevalier blanc, ou plutôt le bonnet rouge, des intérêts des salariés, des sociétaires et de clients qui ont beaucoup de mal à se faire une idée précise de l’avenir de leur banque.
Una aventure personnelle ?
Mais Jean-Pierre Denis n’en a cure. Il persiste dans son projet de sécession, entrainant dans son sillage une partie des salariés conditionnés par un discours maison agitant l’épouvantail de suppressions d’emplois si le projet d’indépendance n’allait pas au bout ! Pourtant les quatre syndicats représentatifs d’Arkéa avaient eux, début janvier, exprimé leur inquiétude et leur nette préférence à un maintien au sein du Crédit Mutuel. Même si depuis, un nouveau syndicat maison a pris les choses en main !
Le projet de Jean-Pierre Denis serait une banque régionale coopérative et mutualiste, avec évidemment sauvegarde des emplois. Le seul problème c’est qu’il ne donne aucun détail sur le schéma d’organisation de cette nouvelle banque, au grand dam d’ailleurs des autorités françaises et européennes de régulation bancaire
Le débat est donc devenu totalement irrationnel. Il faut dire que le président d’Arkéa joue gros ! Difficile de passer sous silence la bataille d’égos et de pouvoir qui pourrait être à l’origine de cette démarche. Jean-Pierre Denis s’est-il imaginé une destinée différente à la tête de la Confédération ? Certaines de ses propres déclarations pourraient le laisser penser. Quoiqu’il en soit, il est aujourd’hui engagé dans une fuite en avant… qui n’est sans doute un gage de sécurité ni pour les salariés, ni pour les clients ou sociétaires !
Prise de risques énorme
Parce que la prise de risques est énorme ! Le premier étant évidemment la perte de la marque Crédit Mutuel qui entrainerait, de fait, l’abandon du statut mutualiste. Le dernier courrier de la BCE, en date du 23 mars, ne laisse que peu de doute sur le sujet…même si la campagne médiatique d’Arkéa continue à soutenir le contraire. Les autorités de régulation bancaire françaises et européennes mettent de leur côté en garde sur la validité juridique du projet, comme sur sa pertinence financière. La quasi-totalité des décisions de justice rendues sur le fond ont d’ailleurs été défavorables à Arkéa.
Alors pour atteindre leur but, les dirigeants d’Arkéa mettent le paquet. La campagne de communication a été, on le sent bien, préparée de longue date. Le logo Crédit Mutuel Arkéa a ainsi évolué vers un « triskel » stylisé, particulièrement bien vu en Bretagne. Des pages entières paraissent presque chaque jour dans la presse quotidienne régionale avec des mots clés bien choisis, regroupés sous la bannière de la liberté. Et évidemment les arguments régionaux, axés sur le fait que la Confédération empêcherait Arkéa d’irriguer le territoire breton, recueillent l’assentiment du plus grand nombre.
Un climat irrationnel
Dans ce climat irrationnel, tout est fait pour qu’une banque devienne le symbole de la liberté et du territoire, quand les adversaires de la sécession apparaissent, eux, comme de dangereux « jacobins centralisateurs ». La « cause » est donc devenue populaire et la liste des soutiens s’allonge de jour en jour : élus locaux, régionaux, parlementaires, entrepreneurs, artistes, et même sportifs.
Jean-Pierre Denis, pour montrer sa détermination, a entrepris depuis quelques jours de faire voter les administrateurs des Caisses locales du Crédit Mutuel Arkéa… sur un projet dont ils ne connaissent ni les modalités, ni même la faisabilité ! C’est pourtant un raz de marée en faveur de la scission qui se profile.
Dans le contexte actuel comment pourrait-il en être autrement ? Il faudra pourtant bien à un moment que les autorités bancaires et notamment la Banque de France fassent preuve d’un peu plus de rationalité !
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