19 mars : rendre hommage à toutes les victimes d’une guerre longtemps restée sans nom

La guerre d’Algérie a beau avoir pris fin il y a cinquante ans, elle ne cesse jusqu’à aujourd’hui de réveiller des blessures qui n’en finissent pas de cicatriser.

L’actualité vient de nous en donner une nouvelle illustration. En effet, le Sénat vient d’adopter une proposition de loi socialiste de 2002 visant à faire du 19 mars, date-anniversaire du cessez-le-feu de 1962, une « journée nationale du souvenir en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ». Cette annonce suscite à la fois la satisfaction de la majorité des personnes concernées, mais aussi l’indignation de certains.

Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d’Algérie, estime à plus de 5 millions le nombre de personnes en France qui sont directement concernées par la guerre d’Algérie[1] : anciens combattants du contingent, pieds-noirs, harkis, anciens déserteurs, anciens combattants de l’OAS, algériens et français d’origine algérienne ayant immigré en France après la guerre, etc. A ces cinq millions de personnes s’ajoutent leurs descendants, fils et petits-fils.

Chacun de ses groupes est porteur d’une histoire, mais ces mémoires sont parfois difficilement réconciliables entre elles.

Nous devons réussir à dépasser ces querelles, et tourner définitivement cette page de notre histoire. Cela passe par un travail de mémoire collectif. Nous devons regarder notre passé en face, comprendre les pages glorieuses autant que les zones d’ombre de notre histoire, pour pouvoir construire un avenir commun à toute la nation. C’est là l’une des bases de la cohésion nationale.

Le débat sur le 19 mars n’est donc pas qu’une polémique sur les dates, c’est bien plus.

La guerre d’Algérie a fait plus de 30 000 victimes. Environ 500 000 soldats français ont été mobilisés sur le territoire algérien. Pour une grande partie d’entre eux, il s’agissait d’enfants de la Seconde Guerre Mondiale, qui avaient déjà vécu l’occupation, et à qui l’on demandait d’aller participer à un conflit dont ils ne comprenaient bien souvent pas tous les enjeux. L’armée de terre, l’armée de l’air et la marine étaient mobilisées, mais il aura pourtant fallu attendre 1999 pour qu’une proposition de loi socialiste qualifie officiellement, enfin, les « évènements » d’Algérie de guerre.

La nation se doit de rendre hommage à toutes les victimes de cette guerre longtemps restée sans nom. C’est vrai, le choix de la date du 19 mars, celui du cessez-le-feu, ne signifie pas la fin des souffrances et des atrocités. Je pense aux massacres de harki, à partir du mois d’Août 1962, aux dernières familles de pieds-noirs forcées de quitter précipitamment le territoire algérien, et aux victimes françaises et algériennes des attentats dans les mois qui ont suivi le cessez-le-feu. Mais s’il on y regarde bien, il en va de même avec le 11 novembre et le 8 mai : on ne célèbre pas, avec ces deux dates, la fin des souffrances, mais bien l’armistice et la capitulation nazie.

Notre pays a besoin de trouver une date pour commémorer cette page de notre histoire. Nous en avons besoin pour mieux rendre hommage à toutes les victimes, civiles et militaires, pour renforcer la cohésion nationale, et pour œuvrer à l’apaisement des relations franco-algériennes.



[1] « La Guerre d’Algérie », sous la direction de Mohammed Harbi et Benjamin Stora, éditions Fayard/Pluriel.

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