Pourquoi j’ai voté la Loi Sapin 2 malgré ses insuffisances
La Loi « Sapin 2 » est un texte qui permet à la France de rattraper un peu son retard en matière de lutte contre la corruption mais qui passe malheureusement à côté de l’occasion de faire de notre pays un exemple de la lutte contre l’évasion fiscale et de l’encadrement des salaires des dirigeants de grandes entreprises.
Dans le climat tendu des dernières semaines et avant le retour à l’Assemblée nationale de la Loi El-Khomri, l’Assemblée nationale a examiné aujourd’hui le projet de Loi Sapin 2, que j’ai décidé de voter. Malgré un certain nombre de manquements regrettables, qui privent notamment la France d’un arsenal législatif offensif en termes de lutte contre l’évasion fiscale, ce projet de loi comprend néanmoins un certain nombre de dispositions qui vont dans le bon sens.
Des mesures contestables, une occasion manquée
Tout n’est pas parfait dans ce texte, qui contient des mesures contestables et contestées, issues de la volonté manifeste du gouvernement de libéraliser toujours plus notre économie.
Ce texte contenait ainsi à l’origine une disposition de « type Loi Macron » accentuant encore la déréglementation sauvage de secteurs entiers de l’économie, puisqu’elle remettait en cause les qualifications de nos artisans. Dévalorisant au passage leurs métiers en laissant croire que chacun, s’il le souhaite, pourrait devenir artisan sans formation préalable, cette mesure a heureusement été largement encadrée, grâce à la mobilisation des professionnels du secteur.
Comment ne pas évoquer également le mécanisme de la « convention de compensation d’intérêt public ». Il s’agit de permettre (sur décision du procureur de la République) à une entreprise d’éviter une action judiciaire en cas de corruption en versant une « transaction pénale » équivalant à une certaine part de son chiffre d’affaires. Directement inspirée par les pratiques judiciaires des Etats-Unis, cette mesure met en place une véritable justice à deux vitesses, permettant aux entreprises riches de s’offrir une rédemption à moindre frais, tout en évitant la mauvaise publicité.
Enfin, je souhaite m’attarder sur l’occasion manquée dans la lutte contre l’évasion fiscale qui, je tiens à le rappeler, coûte chaque année à la France entre 40 et 60 milliards d’euros. Ce texte était l’occasion de faire de la France un modèle, un exemple vertueux, en obligeant les grandes multinationales à rendre publiques leurs informations comptables concernant leurs activités et les impôts payés dans chaque territoire où elles sont implantées et ce, afin de vérifier si les impôts versés correspondent à une activité économique réelle. Tout l’enjeu de cette mesure résidait dans la définition du périmètre géographique de ce reporting qui s’est malheureusement retrouvé restreint aux limites de l’Union européenne. Une multinationale pourra donc allégrement continuer à pratiquer l’évasion fiscale, elle n’aura juste qu’à le faire en dehors de l’UE
Un texte qui va globalement dans le bon sens mais de façon insuffisante
Ainsi, de nombreuses dispositions contenues dans le projet de loi, comme le statut et les missions de l’Agence française Anticorruption, le régime de la protection des lanceurs d’alerte, l’obligation pour un certain nombre d’entreprises de se soumettre à un plan et à des mesures de préventions de la corruption, la mise en place d’un registre public des lobbys, intervenant à tous les niveaux de la prise de décision publique, la lutte contre le pantouflage (navigation de hauts fonctionnaires entre sphère publique et sphère privée) ont pu être amendées et améliorées via les amendements que j’ai déposé avec plusieurs de mes collègues de gauche.
La rémunération des salaires des grands dirigeants ne sera pas encadrée par la loi comme je le souhaitais, mais le vote des actionnaires sera contraignant, ce qui constitue néanmoins une avancée.
Concernant le monde agricole, ce texte permettra d’obliger les entreprises agro-alimentaires à publier leurs comptes sous peine d’injonction d’un juge, ainsi que de permettre une meilleure répartition des prix entre les producteurs et les entreprises transformatrices et distributrices.
J’ai donc voté ce texte, qui présente à mon sens, au final, plus d’avantages que d’inconvénients. Mais bien évidemment, je ne peux pas être satisfait de la timidité du gouvernement face à l’évasion fiscale et de sa volonté constante d’introduire toujours plus de libéralisme dans notre mode de vie. La deuxième lecture, après son passage au Sénat, sera donc l’occasion de revenir sur un certain nombre de points, qui permettrait à cette loi de mériter réellement son titre « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ». Il reste du travail !