Pigeons et rapaces

Pendant sa campagne, François Hollande s’était engagé à réformer le système fiscal, et à aligner la fiscalité du capital sur la fiscalité du travail. Cette réforme a donc été inclue dans le projet de loi de finance en cours d’examen au Parlement.

Or, de nombreuses informations mensongères circulent actuellement, en particulier sur Internet avec le fameux mouvement des « pigeons », dans le seul but d’attaquer l’action du gouvernement en créant un sentiment de panique auprès des chefs d’entreprise. La contestation s’est cristallisée contre l’article 6 du projet de loi de finances, qui prévoit de taxer les revenus des plus-values en cas de revente de parts d’entreprise selon le barème de l’impôt sur le revenu, et non plus de manière forfaitaire (34%) comme c’est le cas actuellement.

La réalité est très éloignée des propos caricaturaux que l’on entend, entretenus par des organisations patronales dont certaines se comportent comme de simples lobbys défendant des intérêts purement corporatistes.

Taxer les revenus du capital comme ceux du travail : une mesure de justice fiscale

La fiscalité est nécessaire au fonctionnement de la démocratie. Elle permet la redistribution des revenus, et finance les services publics.

Notre système fiscal, loin d’être un parfait outil redistributif, est devenu injuste, car régressif, comme l’ont montré Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez[1]. En cause : d’une part la TVA, qui s’applique à tout le monde au même taux et pèse donc davantage sur les petits salaires que sur les hauts revenus, et d’autre part le fait que les salaires sont plus fortement imposés que les revenus du capital (dividendes, intérêts, plus-values immobilières ou mobilières, loyers). Or, plus l’on monte dans l’échelle des revenus, plus on s’aperçoit que la part du salaire diminue dans les revenus des individus.

Ce système est par ailleurs propice aux montages fiscaux, qui là encore permettent aux citoyens les plus favorisés de diminuer le montant de l’impôt dont ils doivent s’acquitter. Ainsi, par exemple, certains chefs d’entreprise préfèrent ne pas se verser de salaires et se rémunérer par dividendes, afin de payer moins d’impôts. Autre exemple, de plus en plus de hauts dirigeants se voient verser une partie de leur rémunération non pas en salaire mais sous forme de stock-options. Enfin, ce système favorise bien évidemment les héritiers et les rentiers, qui paieront toujours moins d’impôts qu’un simple travailleur.

Nul ne met en doute le fait que les entreprises sont créatrices de richesse et d’emploi dans notre pays. Nul ne remet en cause que les entrepreneurs prennent des risques, et doivent donc être rémunérés pour cette prise de risque. C’est pourquoi de nombreuses mesures dérogatoires doivent nécessairement permettre une fiscalité plus favorable aux créateurs d’entreprises et aux investisseurs, poumons de notre économie, qu’aux rentiers et qu’aux montages financiers.

Rétablissons la vérité

De nombreux entrepreneurs m’ont sollicité pour me faire part de leur inquiétude face à taux d’imposition de 60% : ce taux est tout à fait imaginaire, et aucun chef d’entreprise ne sera taxé à un tel niveau, grâce aux exonérations et aux abattements fiscaux prévus par le projet de loi.

Rétablissons la vérité :

  • Pour les petites plus-values, le taux d’impôt après la réforme pourra dans de nombreux cas être inférieur à ce qui est pratiqué aujourd’hui, tout simplement car les taux forfaitaires favorisent les gros montants au détriment des petites cessions ;
  • Les dirigeants, actionnaires de leur entreprise, seront totalement exonérés en cas de départ à la retraite, ou lorsque 80% des parts cédées sont réinvesties dans une autre société dans les trois années qui suivent la cessions ;
  • Les dirigeants d’une « jeune entreprise innovante » son également totalement exonérés ;
  • En cas de revenu exceptionnel du à une plus-value, il sera possible de l’étaler sur deux à quatre années fiscales, pour lisser sur la durée le taux d’impôt ;
  • Des abattements fiscaux significatifs (5% dès la deuxième année et jusqu’à 40% à partir de douze ans de détention) sont prévus. Ainsi, la part imposée in fine est donc nettement inférieure à la plus-value réelle, et le taux d’impôt global s’en trouve significativement réduit à la baisse ;

Ainsi, prenons par exemple un foyer fiscal ayant un revenu confortable de 150 000 € par an, qui réalise une plus-value de cession suite à la vente d’une entreprise ayant été détenue pendant douze ans (abattement de 40%). Même si la plus-value de cession s’élève à 1 million d’euros, le taux d’impôt total (CSG incluse) sera de 36%, soit 2 points de plus seulement que ce qui était pratiqué avant. Le taux d’imposition sera – il est vrai – plus élevé pour les détentions de parts détenues moins de 12 ans, mais toujours pas à 60% !

  • Après avoir rencontré les représentants du patronat, le gouvernement va par ailleurs déposer des amendements, qui devraient permettre dans certains cas de revenir au système actuel d’imposition forfaitaire.

Non, le projet de loi de finances de 2013 n’est pas un texte contre les entrepreneurs et les entreprises. Non, le gouvernement ne prend pas les entrepreneurs pour des cibles, ni pour des « vaches à lait ».

La loi ne s’écrit pas sur Facebook

Le gouvernement a donc montré d’une part sa détermination à réformer le système fiscal, et sa capacité à écouter les revendications des partenaires économiques d’autre part. Le Parlement aura quant à lui à cœur de trancher démocratiquement et sereinement le débat.

J’ai cependant été interloqué par les méthodes de lobbying employées par certaines organisations patronales. J’ai certes conscience qu’ils ne sont pas forcément représentatif de l’ensemble des entrepreneurs : la CGPME, notamment, a pris ses distances par rapport aux « pigeons ». Mais est-ce une méthode respectable que de colporter sciemment des informations fausses ? Est-ce acceptable de manipuler de la sorte l’opinion publique, au point de créer de toute pièce un vent de panique auprès des chefs d’entreprise ?

Le Parlement est une institution souveraine, constituée de représentants de la population démocratiquement élus, à qui il appartient d’écrire la loi dans le souci de l’intérêt général. Comme l’a très bien dit Christian Eckert, rapporteur du projet de loi de finances, « ce n’est pas au nombre de “J’aime” sur Facebook que les lois doivent être écrites ».


[1] www.revolution-fiscale.com / « Pour une révolution fiscale », La République des Idées, Seuil, 2011

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