Fin juin, il claquait la porte du PS et de son groupe parlementaire pour cause de désaccord sur la ligne politique développée par François Hollande. Philippe Noguès, député breton atypique, n’a depuis pas chômé. Après avoir tenté de créer en vain un nouveau groupe parlementaire, il souhaite lancer une nouvelle organisation politique sous la forme d’association : Voix de gauche. Portrait d’un frondeur allé jusqu’au bout de sa fronde.
Rendez-vous est pris au « 3 AB ». Acronyme qui fait partie du jargon des députés de l’Assemblée nationale. Le AB pour Aristide Briand, cette petite rue qui longe le Palais Bourbon sur son côté Est et abrite les bureaux des députés et de leurs assistants. Depuis l’annonce de son départ du groupe socialiste et du PS, Philippe Noguès, que nous avions rencontré à l’époque, a dû déménager. « J’ai pris de la hauteur dans tous le sens du terme », ironise-t-il, dans un sourire gourmand, assis derrière son nouveau bureau situé sous les toits, au 6ème étage « J’ai été un peu surpris sur le coup », se souvient-il, lorsqu’il reçoit un coup de fil des services de l’Assemblée nationale le priant de faire ses cartons le plus vite possible. « Ils voulaient que je plie bagage du jour au lendemain. La session était à peine finie. Ça faisait un peu règlement de compte, une petite mesquinerie : “Il a fait ça, on va lui faire ça.” » Il les fera patienter une petite semaine. Question de principe. Et puis finalement, passée la surprise, ce déménagement s’avère être un mal pour un bien : « Ça m’a permis de redémarrer ma nouvelle vie de parlementaire. De matérialiser ce nouveau départ ». Le hasard étant bien fait, il se retrouve juste à côté de Pouria Amirshahi, députés PS et animateur de l’éphémère mouvement des frondeurs, qui tente lui aussi de secouer un peu le jeu politique français avec son « Mouvement commun ».
“Je me suis réveillé le lendemain matin, j’avais quitté le PS”.
Aujourd’hui, le député breton savoure à plein sa nouvelle vie de parlementaire non-inscrit. Mais, confiant, Philippe Noguès ne l’a pas toujours été et a traversé de sérieuses périodes de doute. Le plus dur, quand il se replonge dans ses souvenirs, ont été les quelques heures séparant sa prise de décision et l’annonce de son départ : « Au moment de passer à l’acte, il y a toujours une part d’émotion, de stress. C’était un grand saut dans l’inconnu. Je me suis demandé si je faisais le bon choix. Et puis je me suis dis que moi, au moins, j’en faisais un. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Le soir même, je suis allé dîner avec les frondeurs. Je me suis réveillé le lendemain matin, j’avais quitté le PS. » D’une simplicité déroutante. Ses camarades ont bien essayé de l’en dissuader lors de ce repas, mais rien n’y a fait. Anecdote savoureuse, avant de les rejoindre, il assistait à une remise de Légion d’Honneur dans la salle de réception de l’Elysée. Quand l’information a commencé à sortir sur les réseaux sociaux, tous les députés qui étaient sur leurs téléphones se sont tournés vers lui, les yeux écarquillés. « Ils n’y croyaient pas », explique-t-il, comme on raconte un mauvais coup.
“J’ai eu une vie avant celle d’élu, j’en aurai une forcément après”
Il faut dire qu’en politique, claquer la porte d’un parti n’est jamais banal. La peur de perdre son précieux appui lors des élections prochaines annihile souvent toute velléité. Mais Noguès n’a pas le profil typique de ces grands élus du PS sortis des bancs des grandes écoles type ENA, HEC ou Sciences-Po ou qui ont fait leurs armes dans les organisations de jeunesse du PS, MJS ou UNEF. Lui, adhère au parti en 2006 après avoir milité à la CFDT. Avide d’engagement, il devient, deux ans plus tard, maire-adjoint d’une petite commune de 6 000 âmes puis est élu député en 2012 grâce à l’étiquette PS. Un parcours qui est, selon lui, une force : « J’ai eu une vie avant celle d’élu, j’en aurai une forcément après. Et je pense que les moments de doute sont plus faciles à traverser puisque j’ai plus vécu en dehors de la politique que dedans. C’est ce qui a fait la différence avec mes camarades. Il y en a deux ou trois qui étaient sur le fil et qui auraient été prêts à basculer. Mais la force d’attractivité du parti et la manière dont ils ont été amenés à leurs postes, leurs imposent presque de ne pas sortir des rails. »
Ne pas avoir d’attaches lui permet de rester un libre-penseur. Un électron-libre, corrigeront certains. Il reste d’ailleurs lucide pour les législatives de 2017. « J’ai bien l’intention de me représenter et je sais qu’en face de moi il y aura un candidat PS ». Mais là n’est pas l’essentiel : « La question la plus importante est “qu’est-ce que j’ai fait et ferai de ce mandat. Est-ce que j’ai suivi bêtement ou est-ce que j’ai fait ce que j’avais envie de faire, ce à quoi m’entrainaient mes convictions et mes valeurs ?” On fera le bilan à la fin. Si je suis battu, je suis battu. Mais au moins, je n’aurai pas de regret. Je pense que j’aurais respecté mes propres valeurs. » Atypique jusqu’au bout.
“J’ai gardé la ligne que je tenais en 2012. C’est plutôt le PS qui a évolué”.
Et puis, l’élu a pu compter sur de nombreux soutiens de militants, de parlementaires ou d’anonymes. « Les gens voulaient m’apporter une forme de réconfort. C’était des mails, des textos, des coups de fil à la permanence. J’ai même reçu des appels téléphoniques à mon domicile de personnes de ma commune que je ne connaissais pas. C’est assez émouvant, on se dit qu’on n’est pas si seul que ça », se souvient-il. Plus inattendus, les messages de solidarité d’élus de droite. « Marc Le Fur s’est même fendu d’un communiqué pour saluer mon départ et le respect de mes convictions. Evidemment je ne suis pas dupe », rigole-t-il. Bien sûr sa décision a aussi crispé certains militants les plus légitimistes du parti, ceux pour qui ont ne quitte pas le navire en cours de route, on n’en critique pas le capitaine. Mais dans la balance, il ne garde que le positif. « J’ai reçu à ce moment là beaucoup plus de soutiens que de reproches. Des soutiens qui dépassaient le seul cadre de mes électeurs », se rassure-t-il. Et il a pour lui le sentiment de rester droit dans ses bottes : « Moi, je n’ai pas l’impression d’avoir changé d’idées. J’ai gardé la ligne que je tenais en 2012. C’est plutôt le PS qui a évolué. »
Une liberté retrouvée
Ne pas être un député godillot. C’est bien. Mais comment utiliser cette nouvelle liberté pour agir ? Rejoindre une autre formation, le parlementaire breton n’y tenait pas. Partant du constat que les partis sont « à bout de souffle. Ils sont dépassés. Pour moi, se dire, socialiste, communiste ou écologiste, ne veut plus dire grand-chose. Il manque un morceau. On est obligé d’aller vers une refondation », il ne se voyait pas rempiler. Surtout, il ne tenait pas à rompre avec cette nouvelle liberté retrouvée. A la rentrée parlementaire, il décline donc les diverses sollicitations. L’idée de la refondation ne le quitte plus. Aux côtés de quelques députés écolos et communistes, Sergio Coronado, Isabelle Attard ou Jacqueline Fraysse, il tente de monter un nouveau groupe parlementaire dépassant les clivages partisans. L’idée intrigue certains de ses camarades mais n’aboutit pas. « La reprise en main par les groupes a été plus forte que l’envie de faire du nouveau. Les chefs de file ont sifflé la fin de la partie », regrette-t-il. Résultat, il rejoint le banc des non-inscrits.
“L’offre politique à gauche aujourd’hui, ne répond plus aux attentes des citoyens”.
Là encore, rien ne peut entamer son optimisme. Ce statut d’apatride parlementaire lui va à ravir. « Je suis totalement libre de signer les amendements que je veux et de proposer ceux que je veux, se félicite-t-il. J’ai par exemple signé une proposition d’Yves Jégo sur l’alternative végétarienne et même une proposition de loi de Dupont-Aignan sur la souffrance animale. Je peux discuter avec tout le monde, je suis libre de ça. » Et puisqu’au sein de l’hémicycle, le poids de la discipline de groupe et des mécaniques partisanes empêchent d’innover, c’est vers l’extérieur, loin de Paris, que Noguès se tourne. « Si l’on veut ré-intéresser les gens à la politique, on ne peut pas le faire uniquement de Paris à la province. L’offre politique à gauche aujourd’hui, ne répond plus aux attentes des citoyens. On le constate d’élections en élections. Les socialistes désespèrent tout le monde depuis qu’ils sont au pouvoir. Les écologistes sont complétement explosés et le Front de gauche stagne et à mon avis, sous sa forme actuelle, ne pourra plus progresser. Il faut repartir sur des nouvelles bases », est-il convaincu. Un constat de plus en plus partagé à gauche et même au sein de son ancienne formation politique. Mais à la différence du « Mouvement commun » de Pouria Amirshahi, Philippe Noguès veut partir des territoires : « C’est à partir des communes, des départements ou des régions que l’on doit créer cette envie ». Une envie qui prend le nom de Voix de gauche avec un « x » pour montrer « la diversité de ces voix là justement. »
Une simple association de type 1901 pour l’instant. « Ce n’est pas un mouvement politique, au sens classique du terme, mais un mouvement qui fait de la politique, ancré clairement à gauche », et qui prend naissance sur ses terres bretonnes. Aucun plan de bataille n’est pour l’instant sur la table. L’association se donne pour mission « d’influencer et de diffuser au sein des partis nos idées. Après ce que sera Voix de gauche au final dépend de ce que voudront en faire ses adhérents. » Mais pour ne pas insulter l’avenir, il ne ferme aucune porte : « Aujourd’hui, ce n’est pas un parti politique. Mais rien n’est figé définitivement, tout dépendra de la dynamique. » Les législatives de 2017 pourraient faire un bon premier test. Car si Noguès est le président de l’association, ses deux vice-présidents sont ses deux anciens adversaires Front de gauche et écologistes aux législatives de 2012. « Ils ont été les premiers à répondre à mon appel », se réjouit-il. Une candidature unitaire serait un sacré avantage dans l’hypothèse d’un candidat aligné par le PS… Mais pour l’instant, le député du Morbihan veut penser au présent et répondre à l’urgence du moment : « C’est important de redonner envie au citoyen. On parle beaucoup de République mais quand on voit que beaucoup s’en détournent, c’est extrêmement inquiétant pour la démocratie. La République, c’est l’affaire de tous ! ».