Décrit par ses camarades comme un pilier de la contestation interne à la majorité, l’élu du Morbihan est le premier député à quitter le Parti socialiste. En cause, la politique économique et le “cynisme” de François Hollande.
Philippe Noguès a pris sa carte au PS un 1er avril. C’était en 2006. A l’époque, l’affaire n’avait rien d’une plaisanterie, mais la coïncidence le fait aujourd’hui sourire : le PS, il n’en est plus membre depuis quelques jours.
Elu député du Morbihan sous ses couleurs en 2012, Noguès a claqué la porte de Solférino et quitté, le 24 juin, le groupe socialiste à l’Assemblée. Celui qui se désespérait de la politique économique de sa propre majorité a préféré mettre un point final à sa lente désillusion. Qu’il résume dans ces quelques lignes amères :
La fierté que je ressentais ce 17 juin 2012 s’est transformée d’abord en désenchantement, puis je dois l’avouer, en un peu de honte. Honte de n’avoir pas vu plus tôt la réalité en face, de n’avoir pas tiré plus tôt la sonnette d’alarme parce que je voulais encore croire que les choses allaient changer. Et honte aussi de ces hommes politiques dont les convictions varient au fil du temps simplement pour soutenir un gouvernement, même quand les décisions de ce gouvernement vont à l’encontre de ce qu’ils ont défendu devant les électeurs.
Ces derniers jours, le premier frondeur à quitter le navire PS n’a pas pu s’empêcher de repenser à cette phrase que répétait son grand-père : “Les politiques sont tous les mêmes !”
Quand il débarque à l’Assemblée en juin 2012, le Breton de 57 ans n’a pas vraiment le profil type des habitués des lieux. Entré en politique sur le tard, il a fait carrière chez le cigarettier Philipp Morris, où il a débuté comme commercial. Délégué syndical CFDT au sein du groupe, il explique s’être toujours senti à gauche et jure avoir maintenu la distance avec les lobbies du tabac depuis qu’il siège à l’Assemblée. “Moi, je n’ai pas fait l’ENA”, tient-il surtout à préciser, avec une pointe de fierté. Il n’a d’ailleurs même pas son bac : en 1973, il avait préféré sillonner l’Europe quand ses petits camarades planchaient dans les salles d’examen.
“Le péché originel”
La politique, elle, l’intéresse depuis longtemps. Noguès a 10 ans quand il écoute à la radio les résultats du second tour de la présidentielle de 1965, qui oppose de Gaulle à Mitterrand. Plus de quarante ans plus tard, c’est pour soutenir DSK face à Ségolène Royal lors de la primaire socialiste de 2006 que ce fils de gaulliste adhère au PS. Un premier avril, donc.
Deux ans plus tard, il mène campagne aux côtés du maire sortant d’Inzizac-Lochrist (Morbihan), terre socialiste depuis la libération. Soutenu par l’édile de la commune, qui en fait son adjoint, Noguès décide de briguer l’investiture socialiste à la législative de 2012. Opposé à un candidat soutenu par le baron local, le hollandais Jean-Yves le Drian, il l’emporte de justesse dans ce qui restera son “combat le plus difficile”. A bord de son camping-car de campagne, il va sillonner les 45 communes de sa circonscription. Et ravir le siège à l’UMP, à la faveur de la vague rose post-présidentielle.
La “fierté” ressentie en ce début de mandat s’évapore toutefois bien vite. Dès le mois d’octobre, quand l’Assemblée doit ratifier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), ce pacte budgétaire que le candidat Hollande s’était engagé à renégocier. “Le péché originel”, dit Noguès à propos d’un texte qu’il regrette aujourd’hui d’avoir soutenu, malgré ses doutes.
Je voulais jouer le jeu, pensant que les choses pouvaient évoluer.
Las. Le 14 janvier 2014, la conférence de presse présidentielle achève de le persuader du contraire. Devant sa télévision, Noguès découvre stupéfait les annonces de Hollande : une baisse des charges des entreprises financée par une réduction de la dépense publique. “Ça a été la cassure.”
Fête de la rose annulée
La suite est connue. Dans la foulée d’une élection municipale dévastatrice pour les socialistes, suivie de l’arrivée de Valls à Matignon, les députés socialistes frondeurs s’organisent. Face au gouvernement, un bras de fer parlementaire et médiatique de plusieurs mois s’engage. Premier épisode d’un feuilleton sans suspense, onze socialistes, dont Philippe Noguès, refusent de voter la confiance au nouveau Premier ministre. Une défiance qui inquiète en haut lieu.
En charge des Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen s’enquiert des raisons de son vote. Les deux hommes échangent quelques mots sur une banquette qui jouxte l’hémicycle. “Il n’a pas insisté plus que ça…”, raconte Noguès. A mesure que la fronde s’amplifie, les relations se rafraîchissent en revanche sérieusement avec Bruno Le Roux, le patron des députés PS, le “caporal en chef”. Quand ce 16 septembre, Manuel Valls sollicite une seconde fois la confiance des députés, Noguès hésite à voter contre, mais s’abstient finalement. “Ils ont dû comprendre que j’étais irrécupérable”, glisse-t-il alors à “l’Obs”. La remarque n’échappe pas à Le Roux, qui l’interpelle quelques jours plus tard au détour d’un couloir :
Je te le confirme, tu es irrécupérable.
La sanction ne tarde pas à tomber. Quand le frondeur décroche son portable quelques jours plus tard, l’assistante de Bruno Le Roux l’informe qu’il ne siégera plus à la commission du développement durable. Ses choix lui sont aussi reprochés par les instances socialistes de son fief du Morbihan. En 2014, la fédération du parti annule la traditionnelle Fête de la Rose du 1er mai d’Inzizac-Lochrist. Du jamais vu depuis plus de trente ans.
Le dialogue n’est pas rompu pour autant. A la veille d’élections départementales périlleuses, Noguès pousse la porte de l’Elysée aux côtés d’une poignée de frondeurs, pour un entretien de plus de deux heures avec Hollande. Le chef de l’Etat se veut rassurant, évoque un contexte économique bientôt propice à des mesures de redistribution. Le frondeur, lui, ne se fait aucune illusion et lance au président :
Ce qu’on pourra vous reprocher, ce n’est pas d’avoir échoué mais de ne pas avoir essayé.
“Ce jour-là, je l’ai trouvé cynique”, se souvient Noguès. Quand ses camarades frondeurs tentent d’infléchir la ligne de l’intérieur, lui ne croit plus à cette option. Joué d’avance, le congrès du PS lui donnera raison quelques semaines plus tard.
Un frondeur “pur et dur”
Dans son bureau de l’Assemblée, ce mardi de la fin du mois juin, le député Noguès est un peu inquiet et confie n’avoir pas très bien dormi. Sur son bureau, les deux lettres qu’il s’apprête à adresser au patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, et à Bruno Le Roux pour officialiser son départ. Si les frondeurs ont “un peu dérangé politiquement, l’espoir de faire changer les choses s’est évanoui”, estime-t-il. Ses retours du terrain et la montée du FN, dont il juge l’action du gouvernement en partie responsable, ont achevé de le convaincre : “Les gens n’y croient plus”, se désole-t-il. Dimanche 5 juillet, il saluait ce “peuple grec qui n’a pas tremblé” en disant “non” à l’austérité.
Ses amis frondeurs apprendront son départ lors d’un dîner organisé dans un restaurant de la rue de Bourgogne, à deux pas du Palais-Bourbon. “Ce n’était vraiment pas une surprise, on le sentait venir depuis un moment”, commente le député d’Indre-et-Loire Laurent Baumel, qui dépeint Noguès comme “l’un des piliers de la fronde parlementaire, un pur et dur”. Son départ est “un pas vers une meilleur clarté, tant mieux”, conclut de son côté Bruno Le Roux.
“Je suis serein, dit aujourd’hui Noguès. Les retours sont positifs à 80%.” Le premier frondeur à quitter le parti travaille désormais à la création d’un nouveau groupe parlementaire. Et ne semble pas près de tirer un trait sur la politique : Des initiatives sont en construction et j’en serai.
Ni de renoncer à une nouvelle candidature aux législatives de 2017, où il devra cette fois mener bataille sans la précieuse investiture socialiste. En attendant, il siégera dans l’hémicycle parmi les non-inscrits. Non loin des écolos, “près de la porte de sortie”.
Audrey Salor