Tribune publiée dans Mediapart que vous pouvez retrouver ici.
Pour une réforme territoriale globale de notre pays
Deux siècles après l’instauration des départements, le temps est venu d’adapter l’organisation territoriale de notre pays. Tout le monde en a conscience, mais les obstacles, souvent liés à la résistance de lobbys particuliers, s’accumulent et entretiennent un climat délétère sur lequel prospèrent les mouvements populistes. Dans ces conditions, comment faire pour rétablir la confiance, et pour que la proximité liée à la décentralisation soit vraiment un atout pour la France ?
J’ai toujours été partisan d’une république décentralisée et participative, je crois vraiment que c’est le sens de l’histoire. Mais j’estime, dans le même temps, incontournable – et ce n’est pas contradictoire – de conserver un Etat fort qui, seul, pourra assurer la nécessaire solidarité entre les différentes parties du territoire français ! Sans cette affirmation claire de l’Etat, la régionalisation créerait naturellement et inéluctablement des inégalités entre les citoyens.
Vers une décentralisation…au sein des régions !
Si la région apparait naturellement comme l’échelon à privilégier pour mener à bien la décentralisation, comment faire pour ne pas reproduire à son niveau ce que l’on n’accepte plus du national et pour que chaque territoire soit représenté équitablement quelle que soit sa position géographique ? Le département apparaît aujourd’hui comme un espace devenu obsolète, beaucoup trop vaste, et surtout qui ne représente pas, ou plus, de véritables bassins de vie. Alors pourquoi ne pas tout simplement donner à des communautés d’agglomérations rénovées, des pouvoirs renforcés qui en feront de véritables parties prenantes du schéma régional ? Il faudra évidemment pour cela qu’elles deviennent l’incontestable reflet du territoire, en épousant mieux qu’aujourd’hui les contours des bassins de vie… sans forcément se préoccuper des périmètres départementaux ! La région s’appuierait ainsi sur l’ensemble des « pays » qui la compose.
Mais cela ne suffira pas ! Comment faire pour que dans la gouvernance de ces communautés d’agglomérations, chaque partie du territoire, rurale ou urbaine, soit équitablement représentée ? Evidemment la désignation des conseillers communautaires par un vrai suffrage universel direct (pas simplement par fléchage) serait un premier pas important. Mais il ne résoudra pas le sentiment d’isolement et d’impuissance des petites communes vis-à-vis de la ville centre.
Des « arrondissements » au sein des communautés d’agglomérations
La France compte aujourd’hui plus de 36 000 communes pour 65 000 000 d’habitants. C’est le pays qui possède le plus de communes en Europe et 30 000 d’entre elles comptent moins de 2 000 habitants. Est-ce encore raisonnable ? Il faudra, c’est vrai, un incontestable courage politique pour aller vers un mouvement de fusion telle que celui qu’ont su mener nos voisins belges ou allemands. Alors, en attendant de voir s’exprimer cette volonté (sans la loi rien ne bougera !) je propose de découper chaque communauté d’agglomération en « arrondissements »[1]* regroupant plusieurs communes. Chaque arrondissement désignerait ses représentants au sein des instances de la communauté. On pourrait aller ainsi vers un scrutin de liste par arrondissement et vers une représentation plus équitable de chaque partie du territoire, qu’elle soit urbaine ou rurale.
Dans un contexte budgétaire contraint, la suppression des départements, et le regroupement des petites communes dans des arrondissements de communautés d’agglomérations – en attendant une hypothétique fusion à venir -, représenteraient une première opportunité de supprimer une partie du millefeuille territorial. Ainsi nous rationaliserons la dépense publique tout en garantissant un niveau élevé de services.
A partir de ces réflexions, la proposition d’assemblées régionales – sur le modèle évoqué par Jean Jacques Urvoas pour la Bretagne – qui exerceraient l’ensemble des compétences actuellement dévolues aux départements et à la région, pourrait sans doute constituer une première base de travail. Mais sans affirmation d’un nouvel échelon à l’échelle des bassins de vie, avec évidemment aussi des compétences spécifiques, nous remplacerons au final un jacobinisme national par un jacobinisme régional ! Et on voit bien le risque de régions en rivalité qui s’affronteraient pour mieux se développer, sans souci d’une quelconque solidarité nationale. Il faudra d’ailleurs bien clarifier la notion de « différenciation ». Jusqu’où pourrait aller cette différenciation sans créer une France à plusieurs vitesses ? On voit bien en Europe l’exemple de pays divisés et affaiblis par des querelles intestines (Belgique, Espagne), remuant des débats identitaires et historiques pour couvrir en fait des réalités plus prosaïquement économiques ! L’objectif d’une République décentralisée, ce n’est évidemment pas que les régions se retrouvent en rivalité les unes par rapport aux autres, mais bien que la France en ressorte, au final, plus forte !
Un Etat fort, garant de la solidarité nationale
Et c’est bien l’objectif des propositions que je formule, face à celles des mouvements populistes qui prospèrent actuellement dans notre pays, et qui se contentent de lancer, en permanence, des anathèmes contre l’Etat, qu’ils jugent responsable de tous les maux. Nous devons décentraliser notre République pour que son fonctionnement soit plus proche des citoyens. Cette volonté de proximité, c’est cela même ce qui m’a conduit à m’investir en politique. Mais ce que je vois aujourd’hui, notamment en Bretagne avec le mouvement des Bonnets rouges, me conduit malheureusement à exprimer une réelle inquiétude sur l’avenir de notre République.
Parce qu’il faut être lucide ! Qui donc défend le plus aujourd’hui le primat de la décentralisation mais propose surtout, en parallèle, l’affaiblissement de l’Etat ? Les partis politiques classiques ? Les tenants d’un fédéralisme qui n’a aucune assise culturelle dans notre pays ? Evidemment pas ! Ceux qui sont derrière ce combat, ce sont bien ceux, dans le monde économique, qui rêvent d’une disparition des Etats au profit d’une Europe libérale des régions dans laquelle ils pourraient agir sans se préoccuper du code du travail ou de celui de l’environnement. Tout au long de ces dernières années, et en Bretagne notamment au travers de l’institut de Locarn, ils ont travaillé pour distiller leurs idées et leurs orientations. Au final, il y aurait bien des gagnants et des perdants, mais devinez qui seraient les uns et qui seraient les autres ! Dans ce contexte, le mouvement des Bonnets rouges est évidemment une bénédiction pour ceux qui souhaitent un affaiblissement de l’Etat.
La France : une communauté de citoyens, une construction politique en évolution
Je propose moi une véritable république décentralisée qui rapprochera les citoyens des décideurs politiques. L’Assemblée régionale bâtira un schéma à partir des compétences qui seront les siennes et les Communautés d’agglomérations rénovées (ou « Pays ») nourriront et appliqueront ce schéma au plus proche des territoires. Une gouvernance démocratique, et équitable, renforcera la proximité et ramènera, à travers une meilleure lisibilité, la confiance des citoyens dans les politiques qui les concernent au premier chef !
Chaque pays a son histoire. La France s’est bâtie en rassemblant, en unissant ses territoires, parfois sous la contrainte il faut le reconnaître. Mais elle n’est pas un assemblage ethnique, elle est une construction politique, une communauté de citoyens. Elle est le pays des Lumières et des Droits de l’Homme. Unie, la France a su grandir et prospérer et, même si certains croient pouvoir aujourd’hui le nier, la Bretagne, comme les autres régions, en a bien évidemment bénéficiée. Alors faisons en sorte de ne pas revenir 500 ans en arrière, au temps des féodalités que d’aucuns semblent regretter, et engageons-nous vraiment vers cette république décentralisée, qui gardera avec bonheur, aux frontons de nos bâtiments publics, sa devise « Liberté, égalité, fraternité » !
Philippe Noguès
Député du Morbihan
3 Commentaires
bien que non socialiste, j’adhère totalement à votre article du télégramme “Décentralisons la décentralisation” Le pivot de la vie sociale est maintenant le “pays” sans autre notion que efficacité sociale et économique. Pas de départements, pas de conseils multiples et redondants, bravo Monsieur , donnez des idées à Madame Lebranchu et à Monsieur C . Lebreton qui semblent vouloir tout garder ! h jan
Bonjour, non seulement j’adhère à vos positions (et à la remarque de Jan) mais j’aimerais ajouter quelques suggestions. Il se trouve que ce sujet me passionne. J’ai vécu 40 ans dans une sous-région de Midi-Pyrénées qui s’appelle le Lauragais. C’est une vraie entité géographique. Homogène du point de vue climatique, historique (les cathares), économique (Le Pastel autrefois, le blé aujourd’hui, etc). Lorsque la loi “Voynet” fut promulguée les élus sautèrent très vite le pas et créèrent le Pays Lauragais, puis, aujourd’hui, le SCOT Lauragais. Qu’a-t-il de particulier ce Pays ? Il se situe sur deux département (11 et 31) et sur deux régions. Sa délimitation est précise (on sait où commence le Lauragais et où il se termine), les vignobles, les contreforts de la Montagne Noire, l’Ariège, etc. Il y d’autres exemples (peu relativement) en France où les élus ont voulu dessiner des contours de Pays au détriment des limites départementales (Pays du Val d’Adour, Scot du Pays de Redon, etc).
Ce Pays Lauragais dont je parle est limitrophe à l’Ouest avec les contours de l’Agglomération Toulousaine. C’est tout à fait vrai que les préoccupations des habitants ne sont pas les mêmes selon que l’on est dans un bassin ou l’autre. La gestion des transports, des collèges, des lycées, des hôpitaux, de la sécurité, des revenus des habitants, n’est pas la même. Du coup, il y a une certaine homogénéité, un équilibre, une cohérence (comme l’indique le SCOT – génial !).
L’intercommunalité est également une grande avancée et une préparation à la disparition des conseils municipaux mais aussi à la participation aux futurs SCOT ou Pays.
Je verrais bien, comme vous, une Région dont les contours correspondraient aux contours (par l’extérieur) des Pays. Il faudrait toutefois que les Pays se regroupent au delà des départements actuels voire des régions actuelles (peu de cas). A l’intérieur des Régions, des Agglomérations (Métropoles) et des Pays (qui remplaceraient les départements actuels), eux mêmes constitués d’intercommunalités. Les Régions auraient toutes les compétences des départements et des communes actuelles. Néanmoins, pour ne pas supprimer les communes les électeurs pourraient désigner sur propositions de listes des délégués aux intercommunalités. A la proportionnelle. Les intercommunalités feraient de même pour les Pays (voir système électoral des conseillers généraux ?), les Pays feraient de même pour la Région.
Pour résumer :
– des communes sans pouvoir de décision mais plutôt de proposition (pool routier communal, ordures ménagères, etc) nomment des délégués bénévoles au conseil de l’intercommunalité. Il ne faut pas que la commune coûte un centime au contribuable. Voilà des économies !
– des intercommunalités sans pouvoir de décision mais de proposition (écoles, collèges, routes, transports scolaires, ordures ménagères, etc). Un Président de l’intercommunalité élu par les délégués intercommunaux rémunéré.
– des Agglomérations et des Pays (même niveau) sans pouvoir de décision mais de propositions (routes, collèges, lycées, transports, ordures, santé, social, etc). Un Président du Pays ou de l’Agglo rémunéré.
– Une Région qui décide sur proposition des élus locaux (en l’occurrence les seuls élus du peuple seraient les délégués communaux à l’intercommunalité).
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Je veux bien approfondir la question si mes propositions pouvaient permettre de faire avancer le dossier. A votre disposition. Un citoyen soucieux de faire avancer le pays vers la modernité. J’ai deux garçons, un au chômage et l’autre étudiant mais que vont ils devenir ?
En complément à mon précédent commentaire j’ajouterais que les Pays (regroupés pour former l’équivalent d’un département) pourraient prendre des noms qui ressemblent à ceux des départements d’aujourd’hui. Pour ne pas choquer les gens. Le “must” serait que le numéro du futur Pays corresponde à celui d’aujourd’hui mais ce sera difficile. Par exemple, dans le sud, il y aurait un Pays (englobant plusieurs Pays ou SCOT actuels) des contreforts sud du Massif Central (Aveyron, Lozere, Tarn, Ardèche, etc).
Le gouvernement devrait, dans un premier temps, obliger les intercommunalités à se constituer en Pays-SCOT et en Métropoles avant fin 2015. Les régions fusionneraient en 2016. Cordialement.